Le Festival FILMER Ă TOUT PRIX DE BRUXELLES (13 au 25 novembre 2006)
prĂ©sente en parallĂšle de la rĂ©trospective des CINĂMATONS
deux films en copie neuve de GĂRARD COURANT
le mercredi Ă 20 heures et 22 heures Ă PROPOS DE LA GRĂCE (1985, 85 minutes) avec Epi Melopoulou
Jâai heureusement vu plusieurs fois la GrĂšce, il y a des annĂ©es dĂ©jĂ . Je nâai malheureusement vu quâune fois Ă propos de la GrĂšce de GĂ©rard Courant, il y a deux ans dĂ©jĂ . Vous savez comment opĂšre la mĂ©moire ? La premiĂšre image qui me revient de ce film est un plan « quelconque » (mais tout plan nâest-il pas « quelconque » et le « quelconque » nâest-il pas souvent ce qui frappe le plus ?). Un carrefour de rues Ă AthĂšnes probablement, des hommes et femmes qui passent, la circulation. Dans mon souvenir, les chemises sont blanches : il y a surtout des hommes, bien sĂ»r, dans les rues grecques. Jâimagine que leurs chaussures sont vernies noir et blanc, façon helleno-italienne. Et puis il y a une table sur le trottoir, je crois bien. Une table bleu ciel, Ă moins quâelle ne soit blanche, puisque souvent en GrĂšce les couvercles de gaziniĂšres et autres flancs de rĂ©frigĂ©rateurs reprennent du service sous forme de dessus de table. Bref, une image caractĂ©ristique dâAthĂšnes : une ruche, principalement masculine. CaractĂ©ristique de la GrĂšce ordinaire : une table au milieu des gens, des chaises (il y a trois fois plus de chaises que de Grecs), et bien sĂ»r cette limpiditĂ© des sons et lumiĂšres⊠Un plan dĂ©cidĂ©ment pas si « quelconque » que ça, obstinĂ©, obsĂ©dant. Probablement, sĂ»rement parce que GĂ©rard Courant a filmĂ© vers le bas, cadrĂ© de la chaussĂ©e Ă la ceinture des piĂ©tons : il a regardĂ© comme on regarde dans la rue en marchant, plutĂŽt vers ses pieds. Il a su voir aussi la GrĂšce comme ça. Comme un pays « quelconque », un quelconque pays oĂč lâon vit chaque jour comme ailleurs. Presque comme ailleurs, comme ici. Puis la mĂ©moire opĂšre un recul. Ce que je retiens de ce film, ce sont ces trois couleurs, bleu, blanc, ocre. La trinitĂ© grecque. Comment se fait-il quâil nây ait pas dâocre aussi dans leur drapeau ? Bleu de la mer, du ciel et des toits dâĂ©glises, blanc des villages, embruns et chemises, ocre de la terre. Et un peu de verre pĂąle, celui des oliviers, cĂąpriers, eucalyptus. GĂ©rard Courant a captĂ© la permanence, la pĂ©rennitĂ©, lâĂ©ternitĂ© de ces trois couleurs. Lâimage de base de la GrĂšce. Lâimage archaĂŻque. Puis la mĂ©moire travaille. Courant a eu lâidĂ©e forte dâopposer Ă cette beautĂ© tranquille des Ă©lĂ©ments et des lieux, un rythme. Une trĂ©pidation. Par un montage hachurĂ©, moins rĂ©pĂ©titif quâon pourrait le croire, comme il en a le secret. Par un son mĂ©canique qui accompagne tout au long, invariablement, ses images. Cela fait deux ans que je me demande si ce son est celui dâun appareil de projection (ou dâune camĂ©ra : câĂ©tait le mĂȘme objet, au dĂ©but), ou celui dâune hĂ©lice de bateau. Peut-ĂȘtre ni lâun ni lâautre. Quâimporte : pour moi ce sera toujours la fusion sonore du cinĂ©matographe en train de tourner et du bateau en train dâavancer. Vers la GrĂšce, vers les Cyclades ; vers une pĂ©ninsule ou vers les Ăźles. Enfin la mĂ©moire revient. Lâobsession : tout le film se jouerait lĂ -dessus. Sur ce bruit lancinant, dâabord surprenant, puis Ă©nervant, puisquâon raisonne autant quâil rĂ©sonne, puis qui sâimprime bon grĂ© mal grĂ© en vous. Sur ces paysages, qui reviennent sans cesse, martelĂ©s. Comme si GĂ©rard Courant voulait Ă tout prix, puisquâil sâagit de la GrĂšce, quâon en prenne plein les yeux. Câest le cas. Et enfin, et bien sĂ»r, et surtout, cette femme. La femme qui passait ses vacances avec GĂ©rard Courant en GrĂšce, tout simplement. Ce serait donc bien cela quâil a enregistrĂ© ici : un souvenir obsĂ©dant, de bonheur probablement. Une image de bonheur, qui sera la matiĂšre du film ; sur quoi il bute, ce qui sera la maniĂšre du film⊠Au-delĂ , je ne sais pas, je ne vois plus. Ou ce bonheur Ă©tait si intense que Courant veut rendre cette intensitĂ©, Ă jamais : son battement. Ou ce bonheur Ă©tait dĂ©jĂ fragile, menacĂ© : il allait perdre un jour la GrĂšce, perdre cette femme, cette beautĂ©, ce bonheur. Il rendrait la menace du temps, les coups de buttoir de la mort qui travaille toute chose, tout ĂȘtre, tout amour. Je ne veux surtout pas le savoir. Je ne veux rien voir de plus ici quâune image mienne, imputĂ©e nolens volens Ă GĂ©rard Courant. Cette image, ce film, fusionneraient les deux propositions ci-dessus : un homme (Ă la camĂ©ra, dirait Vertov, dont Courant a retenu bien des choses) a vĂ©cu lĂ , en GrĂšce, un amour Ă son paroxysme. Au maximum de son intensitĂ©. Donc dĂ©jĂ fragilisĂ©, menacĂ©. Il saurait que cet amour ne vivrait plus jamais cela, lĂ : au plus fort de sa beautĂ©, dans ces lieux et ce temps grecs infiniment sereins. Il voudrait nous dire que la trĂ©pidation amoureuse est passĂ©e trop vite. Que le sĂ©jour en GrĂšce Ă©tait trop court. Que la GrĂšce et lâamour, câest toujours trop beau, ça passe toujours trop vite. Toujours aussi obsĂ©dants que fragiles, le bon, le beau. Ă propos, les fameuses cartes postales ; les fameux clichĂ©s (de vacances) du bonheur et de la beautĂ©. GĂ©rard Courant ne leur tourne pas bĂȘtement le dos, il ne ferme pas les yeux dessus. Il les fait comme dĂ©filer en accĂ©lĂ©rĂ©, les secoue, les mĂ©lange. Il les bat, au pied de la lettre, dans tous les sens du terme. Comme sâil voulait que nous reste, en vrac, un tas dâimages. Un tas « tout bĂȘte », inarticulĂ©, dĂ©sossĂ©, dĂ©fait, dâimages trop belles, trop bonnes. PrĂ©cisĂ©ment, câest ce tas insensĂ© qui ferait sens⊠Un malin plaisant, GĂ©rard Courant !
(Fabrice Revault dâAllonnes, Le Journal du 43, n° 2, dĂ©cembre 1986)
LES AVENTURES DâEDDIE TURLEY (1987, 90 minutes) avec Philip Dubuquoy, Françoise Michaud, JoĂ«l Barbouth, Mariola San Martin, Lucia Fioravanti, Joseph Morder, GĂ©rard Tallet, F.J. Ossang, Jaques Dutoit, Baxter, Lou Castel, Alain Pacadis, Dominique PaĂŻni
Sur un thĂšme dâaventures de science-fiction, GĂ©rard Courant compose un hommage Ă lâAlphaville de Jean-Luc Godard, aux dĂ©tectives privĂ©s du cinĂ©ma amĂ©ricain, Ă David Goodis et Ă ses mĂ©tropoles inhumaines, etc. Ce nâest quâun prĂ©texte Ă une expĂ©rience de film entiĂšrement fait dâimages fixes. GĂ©rard Courant a parcouru le monde, rĂ©alisĂ© sept mille clichĂ©s, retenu deux mille quatre cents photographies pour construire, au banc-titre et au montage, un superbe univers imaginaire en noir et blanc. Des voix off donnent une sorte de vie parallĂšle Ă des ombres, Ă des silhouettes ou Ă des visages entrevus. Ce pourrait ĂȘtre de lâanti-cinĂ©ma, câest du cinĂ©ma rĂ©inventĂ© Ă la mesure des rĂȘves.
(Jacques Siclier, Le Monde, 27 avril 1989)
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