n° 32 Mars/Avril 2007
Entretien Franck Senaud, rédacteur et Stéphane Marti, cinéaste , Janvier 2007
Franck Senaud : Vous avez commencé, semble-t-il à filmer aux alentours de 1975, avezvous choisi immédiatement la pellicule ? Pourquoi?
StĂ©phane Marti : Câest ça, dĂšs 1975 avec « Corpress » je mâempare du Super 8, trĂšs facile dâaccĂšs Ă lâĂ©poque et je ne le lĂącherai plus.
Câest en assistant au cours de Dominique Noguez, premier thĂ©oricien Ă avoir introduit lâenseignement du cinĂ©ma expĂ©rimental Ă lâuniversitĂ© française (UFR des Arts Plastiques de Paris1), que je dĂ©couvre les splendeurs de ce cinĂ©ma comme pratique artistique autonome, instinctive, personnalisĂ©e et libĂ©rĂ©e des lois Ă©conomiques du cinĂ©ma industriel et des codes du cinĂ©ma narratif ou de la reprĂ©sentation documentaire dominante. Auparavant, le cinĂ©ma me semblait ĂȘtre un domaine « professionnel » totalement inaccessible et lĂ , cette initiation brillante et passionnĂ©e au cinĂ©ma expĂ©rimental me donne envie de mây mettre. Le super 8 mâapparaĂźt alors comme le mĂ©dium le plus appropriĂ© pour rejoindre Ă mon tour lâaventure et lâhistoire du cinĂ©ma expĂ©rimental.
(A partir de 1985, je prends le relais de cet enseignement Ă cette mĂȘme UFR et mâefforce de communiquer ma passion Ă de nouvelles gĂ©nĂ©rations dâEtudiants).
Dans les films de ma « premiĂšre pĂ©riode », de 1975 Ă 1983, jâexplore toutes les palettes de ce mĂ©dium que je pratique en autodidacte - St Charles nâĂ©tait pas la FEMIS - et que jâaffine film aprĂšs film.
Dâabord, lâextrĂȘme maniabilitĂ© des petites camĂ©ras super 8 autorise une proximitĂ© trĂšs grande, mĂȘme une intimitĂ© avec le sujet filmĂ© et offre aussi la possibilitĂ© de multiplier les points de vue sans obligation de dĂ©placer du matĂ©riel ou des techniciens. Lâapproche du corps par la gestuelle, via la camĂ©ra, devient alors une vĂ©ritable Ă©criture, sorte d « action filming » proche de lâ « action painting » en peinture. Avec cette facultĂ©, en jouant avec la distance focale, lâaccĂ©lĂ©rĂ©, le ralenti, lâintervalle (ou jump cut), le flou, le bougĂ©, le tremblĂ©, la macro, etc, de laisser parler lâinconscient, en tout cas la pulsion immĂ©diate, pour crĂ©er des formes et donner une transcription brute de lâexpĂ©rience.
Corpress, 1975
Cette approche du corps par lâĂ©criture cinĂ©matographique super 8 est lâenjeu le plus stimulant que jâexpĂ©rimente film aprĂšs film. Jâai mis en forme et en lumiĂšre un rĂ©pertoire corps filmĂ©/corps filmant grĂące Ă la maniabilitĂ© de ces camĂ©ras et aux Ă©changes instinctifs que jâĂ©tablis avec mes Acteurs/Actants dans la palette infinie des relations dĂ©sirantes : lâattraction, lâattirance, la rĂ©pulsion, la peur, lâhystĂ©rie, lâextase, le plaisir, la douceur, etc. Lâartifice, la thĂ©ĂątralitĂ©, le lyrisme rĂ©injectent toujours de lâĂ©nergie dans le jeu.
Dâautre part, la qualitĂ© de lâĂ©mulsion kodachromme 40 - que jâai presque exclusivement utilisĂ© jusquâ Ă lâarrĂȘt de sa fabrication et de son dĂ©veloppement en septembre 2006 - est essentielle pour le rendu exceptionnel des images. Cette pellicule inversible trĂšs fine (25 asa en lumiĂšre du jour) nâa jamais cessĂ© de sâamĂ©liorer jusquâ Ă atteindre des caractĂ©ristiques proches de celle de la diapositive : excellent Ă©quilibre des couleurs, importante saturation, donnant une latitude chromatique difficile Ă obtenir en pellicule nĂ©gative et permettant, notamment, de moduler les teintes dans les noirs (noirs bleutĂ©s, orangĂ©s, violets) ou dâavoir des bleus, des indigos, des bruns, des carmins des rouges ou des dorĂ©s - mes prĂ©fĂ©rĂ©s - dâun intensitĂ© inĂ©galĂ©e.
Assemblage, 2006 The film Gallery
Vous semblez valoriser le super 8 pour deux raisons: celle de la prise de vue, disons, et celle de lâimage fabriquĂ©e. Parlons de cette premiĂšre raison : vous dĂ©crivez trĂšs bien cette possibilitĂ© corporelle que crĂ©e la maniabilitĂ© technique, de plus, votre cinĂ©ma a semble-t-il dĂšs le dĂ©but Ă©tĂ© liĂ© aux corps, Ă la sexualitĂ©, pensez-vous que câest cette thĂ©matique personnelle, « obligĂ©e », qui vous a menĂ© vers ce mĂ©dium ?
La premiĂšre qualitĂ© dâune camĂ©ra super 8 (comme je viens de lâĂ©noncer) câest sa petite taille et son faible poids qui impliquent presque instinctivement quâon la prenne Ă la main, ouvrant de maniĂšre insoupçonnĂ©e la palette des mouvements. La camĂ©ra devient donc le prolongement de ma main, de mon bras, de mon corps et il mâappartient, avec ou sans le contrĂŽle du viseur, de lui faire accomplir toutes les circonvolutions que je souhaite. Je suis alors un cinĂ©aste/danseur ou un cinĂ©aste/ peintre gestuel qui capte en fonction de ma propre dynamique corporelle des fragments dâespace et de temps. Ce qui Ă©merge ici, câest la vibration, lâondulation et la souplesse transcrites par la camĂ©ra et qui tĂ©moignent de la rĂ©elle prĂ©sence du sujet filmant.
Lâ objet/sujet dont lâessence mĂȘme et la morphologie se prĂȘtent le mieux Ă cette exploration spĂ©cifique du mouvement, câest le corps. Et bien sĂ»r le corps dĂ©sirĂ© ou le corps du dĂ©sir.
En ce qui concerne ma sensibilitĂ© ou ma thĂ©matique personnelle - pour reprendre votre question - câest le dĂ©sir homosexuel qui sous-tend tous mes films (ça nâaura Ă©chappĂ© Ă personne). Câest dans lâĂ©change, impulsif ou plus Ă©laborĂ©, entre ces deux Ă©nergies, le corps filmant et le corps filmĂ©, le corps dĂ©sirant et le corps dĂ©sirĂ© que sâinstallent, Ă mon sens, les correspondances plastiques les plus rĂ©ussies. La palette des mouvements accompagne celle des dĂ©sirs dans une allĂ©gorie de la sexualitĂ©. Je place le corps tel un bijou dans un Ă©crin, objet prĂ©cieux dans un espace clos et le flĂšche de toutes parts â figure ambiguĂ« du St SĂ©bastien - des attaques de ma camĂ©ra. La cible/corps explose alors et se dĂ©multiplie en une myriade de fragments plus ou moins dĂ©chiffrables.
A la fin de Diasparagmos,1980 (le Diasparagmos est une des pratiques rituelles les plus sauvages du culte antique de Dionysos dans laquelle il sâagissait, pour alimenter la frĂ©nĂ©sie des bacchanales, de dĂ©pecer, de dĂ©chirer et de dĂ©vorer la chair encore fraĂźche et crue dâanimaux sacrifiĂ©s), on me voit avec Aloual - acteur fĂ©tiche des mes premiers films - dans un duo corporel, dâabord complice puis plus frĂ©nĂ©tique, du filmant et du filmĂ© (ce film, qui a fait lâobjet, entre autres, dâun portrait/reportage sur mon travail par FrĂ©dĂ©rique Devaux et Michel Amarger, est Ă©ditĂ© depuis peu par Re : Voir en DVD).
Aloual dans Diasparagmos, 1980
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Baptiste Lamy dans Le veau dâor, 2002
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Je pense en effet que toute pratique artistique « rĂ©ussie » - câest Ă dire authentique - entretient un lien Ă©troit entre le mĂ©dium et le sujet.
La seconde particularité du Super 8 est déterminée par le rapport entre les deux cÎtés (largeur et hauteur) de son image. La surface est proche du carré alors que le 16 mm, le 35 mm et le 70 mm sont des formats beaucoup plus rectangulaires. Les lois de composition qui en résultent sont forcément différentes.
Cette esthĂ©tique sâimpose, je dirais lĂ aussi presque instinctivement dĂšs quâon a lâoeil derriĂšre le viseur : on y constate alors une surface/plan qui sâinscrit idĂ©alement dans un quadrilatĂšre ou dans un cercle. Il apparaĂźt alors naturel de sâapprocher de son sujet afin de le centrer avec le maximum dâefficacitĂ©, via le plan serrĂ© ou le gros plan. Le corps - et sa fragmentation - reste la figure idĂ©ale pour cette exploration. Par ailleurs, lorsque je souhaite cadrer un sujet vertical dans son intĂ©gralitĂ©, je fais pivoter la camĂ©ra pour le disposer dans une diagonale.
Les formats professionnels se prĂȘtent davantage Ă lâutilisation du plan large ou du plan dâensemble et la configuration rectangulaire du cadre resitue lâillusion de profondeur dans de bonnes conditions. Câest le systĂšme perspectif de la Renaissance devenue la rĂšgle du cinĂ©ma narratif dominant - son nombre dâor.
Enfin, la troisiĂšme particularitĂ© du Super 8 prolonge ce principe du gros plan auquel je tiens tant par une autre constatation dâordre technique, concernant cette fois lâĂ©mulsion de la pellicule. Ce rĂ©cepteur photosensible Ă la lumiĂšre est une couche chimique uniforme constituĂ©e de microcristaux dâhalogĂ©nure dâargent dont la granulation est finement perceptible Ă la projection. Dans lâĂ©mulsion Super 8, la quantitĂ© de cristaux ou de grains est deux fois plus rĂ©duite que dans le 16 mm, elle-mĂȘme deux fois plus rĂ©duite que dans le 35 mm, etc. La dĂ©finition de lâimage qui en dĂ©coule, ce quâon appelle communĂ©ment son piquĂ©, est donc distincte selon les formats. Ainsi, pour le Super 8, la meilleure qualitĂ© sâobtient en filmant en gros plan ou en macro, câest-Ă -dire Ă quelques centimĂštres du sujet. Une fois de plus, câest bien le corps qui convient parfaitement Ă cette approche trĂšs serrĂ©e car on y dĂ©cĂšle une Ă©quivalence plastique entre la pigmentation de sa peau et la granulation de la pellicule.
Amin dans Allegoria, 1979
DĂšs 1977, Dominique Noguez nomme de façon interrogative « Une Ă©cole du corps? » les correspondances troublantes quâil discerne entre les films de cinĂ©astes - surtout masculins - qui se servent, Ă la mĂȘme Ă©poque et en France, du mĂ©dium super 8, de sa maniabilitĂ©, de sa gestuelle et de la splendeur inĂ©galĂ©e de ses images comme vecteur instinctif de leurs dĂ©sirs homosexuels : TĂ©o Hernandez, Michel Nedjar, Jakobois, GaĂ«l Badaud et moi mĂȘme.
Travailliez-vous votre peinture sur ce sujet et de cette façon (grands formats / action painting que vous citez..)?
Je ne peux rĂ©pondre Ă cette question car je ne fais pas de peinture mais plutĂŽt - surtout actuellement et aprĂšs avoir pas mal tĂątonner - et grĂące Ă la richesse du corpus visuel de lâensemble de mes films des photos / dĂ©chirages, des assemblages et des sculptures / objets.
Votre rĂ©ponse est si complĂšte sur ce que peut produire le mĂ©dium que vous employez que cela me fait reprendre ma question sur le lien Ă la peinture. Je vous demandais tout dâabord si la pratique picturale qui a prĂ©cĂ©dĂ©e vos dĂ©buts dans le cinĂ©ma Ă©tait dĂ©jĂ rattachĂ©e Ă ces problĂ©matiques de formats (le corps qui regarde se mesure Ă ce qui est peint) et/ou de gestuelles (la peinture comme signe de lâĂ©nergie dâun corps agissant) et de sujets (le nu tout simplement) ? Et, dans le mĂȘme esprit, puisque votre rapport au modĂšle dĂ©clenche et anime lâaction de filmer si vous songez avant ou pendant le film au rĂ©sultat final ou si câest au montage que cet assemblage de vues sâorganise ?
Non, le travail de peinture que jâai pu entreprendre (fin 60 dĂ©but 70) nâ a pas beaucoup dâintĂ©rĂȘt et rien Ă voir avec celui que jâentame ensuite avec le cinĂ©ma expĂ©rimental via le super 8. Je suivais alors un enseignement acadĂ©mique aux Beaux Arts de Montpellier et produisait des peintures, disons nĂ©o surrĂ©alistes ou nĂ©o fantastiques, dâune facture trĂšs « lĂ©chĂ©e », proche de celle de Dali - que jâadmirais beaucoup Ă cette pĂ©riode de ma vie.
Câest vraiment Ă lâUFR des Arts Plastiques - qui dĂ©fendait Ă cette Ă©poque, dans lâĂ©lan de 68, les pratiques artistiques transgressives des nouvelles avant gardes - et grĂące Ă lâenseignement de Dominique Noguez sur le CinĂ©ma ExpĂ©rimental et de Michel Journiac sur lâArt Corporel que je trouve lâexpression et lâenjeu qui correspondent le mieux Ă ma sensibilitĂ© : le cinĂ©ma expĂ©rimental comme pratique plastique et la question, infinie, du corps.
Je rebondis plus facilement sur la deuxiĂšme partie de votre question car le montage de mes films est pour moi, en effet, le second processus de crĂ©ation Ă part entiĂšre aprĂšs celui du tournage. Je me retrouve toujours avec une grande quantitĂ© de rushes et, sans dĂ©coupage technique ni plan de montage, jâattaque - avec visionneuse , colleuse, ciseaux et scotch - libre de toutes les combinaisons possibles. Je ne sais jamais comment je vais « ouvrir » un film, me mĂ©fie des fausses bonnes idĂ©es, des articulations a priori logiques et rentre dans ce processus crĂ©atif avec frĂ©nĂ©sie.
Je modifie souvent le montage jusquâĂ ce que les articulations me paraissent convenir. je nâaime pas beaucoup « clĂŽturer » donc je prĂ©vois plusieurs fins possibles qui sont Ă©galement des propositions dâouvertures pour les films Ă venir. Quoiquâil en soit, câest toujours une aventure Ă haut risque puisque je jette Ă©normĂ©ment pour pouvoir avancer et construire...
Heureusement, je fais quand mĂȘme confiance Ă mon intuition. Et puis jâessaye de reste le plus fidĂšle possible Ă la source, câest Ă dire Ă la dynamique et Ă la sensation du tournage car la plupart de mes plans - surtout dans mes films rĂ©cents - sont dĂ©jĂ articulĂ©s en tournĂ©/montĂ©, effectuĂ©s directement Ă la camĂ©ra par une juxtaposition de brĂšves saccades, de â petites giclĂ©es â comme le note impudiquement Dominique Noguez au sujet des films de Jonas Mekas.
Je travaille mes films rĂ©cents Ă lâintervalomĂštre (dispositif sur des camĂ©ras super 8 haut de gamme qui permet de maĂźtriser la durĂ©e et lâintervalle entre les plans) et je sais que je nâaurai pas grand chose Ă enlever car les images les plus spontanĂ©es et les plus instinctives sont dĂ©jĂ en place, accompagnĂ©es quelquefois par des flous, des surrex, des bougĂ©s, des vibrations de camĂ©ra, etc... La temporalitĂ© de lâaction corporelle est donc ainsi sans cesse interrompue par une singuliĂšre opĂ©ration de tournage Ă dynamique circulaire qui capture et met bout Ă bout des fragments de film en prise directe. Car, il sâagit bien, tout en respectant la chronologie de lâaction, de â tourner autour du sujet â. Cette façon dâencercler le sujet/corps reste une figure cinĂ©matographique dominante dans lâensemble de mes films.
Dans mes premiers films je ne mây prenais pas de la sorte et jâ « Ă©clatais » au montage tous mes plans de maniĂšre quelquefois un peu trop arbitraire. On voit comment ces improvisations, ces tĂątonnements et ces ruptures, font du cinĂ©aste expĂ©rimental un crĂ©ateur Ă part entiĂšre dont le travail sâapparente bien Ă celui du plasticien : progressant par rebonds et ouvert aux trouvailles imprĂ©vues. Aloual dans Ora pro nobis, 1979 ph : F. Sagnes
Je relis lâensemble de vos propos et je me dis que vous semblez travailler sur le corps mais votre rapport au modĂšle est si central (dĂ©clencheur de film peut ĂȘtre mĂȘme), le rythme de prise de vue, du montage, le mouvement circulaire que vous crĂ©ez si marquant quâil sâagit en un sens du genre « portrait » davantage que du genre « nu ». Cette remarque prend une importance quand on regarde la distinction que vous faites entre la prise de vue et le montage (qui semblent contradictoires concernant le sujet en un sens) mais qui tĂ©moigne prĂ©cisĂ©ment de la diffĂ©rence que lâon peut faire avec le numĂ©rique. Comment cette Ă©nergie du filmeur et les trouvailles quâil fabrique peut ne pas nuire au monteur que vous ĂȘtes Ă©galement. VoilĂ la question qui mâintĂ©resse: prĂ©parez-vous vos plans, les dĂ©cors, la lumiĂšre, les couleurs, les symboles et, selon quel plan ?
LĂ oĂč vous percevez une distinction voire une contradiction entre la prise de vue et le montage, je ne vois que complĂ©mentaritĂ© entre deux processus crĂ©atifs que je mâefforce de garder autonomes et auxquels se rajoute en plus un troisiĂšme, celui de la conception sonore..
Je prĂ©pare mes tournages comme si jâĂ©tais dans un atelier privĂ© plutĂŽt que dans un studio. Beaucoup de mes films sont dâailleurs rĂ©alisĂ©s dans les piĂšces des diffĂ©rents endroits oĂč jâai habitĂ©. Je les agence longuement en les surchargeant - surtout dans les films rĂ©cents - avec des oeuvres originales dâamis proches (par exemple celles de Michel Journiac ou de Monique Delvincourt) ou des reproductions (citations), du mobilier, des Ă©lĂ©ments de dĂ©cor, des accessoires et des objets qui me tiennent particuliĂšrement Ă coeur et qui, Ă la fois ex voto, totems et images sacrĂ©es, font partie de mon histoire.
Ces objets interviennent souvent dans les assemblages que je propose parallĂšlement pour des expositions.
Jâinstalle ensuite la lumiĂšre de telle sorte que tout le monde, actants, amis « techniciens » et moi mĂȘme, puissions Ă©voluer sans trop de contrainte ni dâentrave. IL sâagit de crĂ©er le meilleur rĂ©ceptacle possible Ă lâĂ©change spontanĂ© et instinctif entre le corps filmĂ© et le corps filmant et Ă cet Ă©tat fragile dont je parlais au dĂ©but : celui de la pulsion immĂ©diate et de la
Marcel Mazé et La Cible de Michel Journiac dans Le rituel de fontainebleau, 2001 ph : B.Lamy
transcription brute de lâexpĂ©rience - du tournage. Nâutilisant ni scĂ©nario, ni dĂ©coupage technique, ni storyboard, ni plan de travail prĂ©cis, je reste concentrĂ© sur lâĂ©nergie prĂ©sente et privilĂ©gie lâintensitĂ© du processus de fabrication qui dicte ses propres lois.
Les rushes partent ensuite au dĂ©veloppement et reviennent plus tard. Câest encore une spĂ©cificitĂ© du mĂ©dium argentique Ă laquelle je tiens beaucoup car un temps - toujours prĂ©cieux - se dĂ©roule et les images re - apparaissent comme dĂ©connectĂ©es, libĂ©rĂ©es de leurs urgences. Je me re-trouve avec des rushes Ă re-dĂ©chiffrer, des instants capturĂ©s qui me sont familiers, me ravissent, me surprennent ou me troublent car beaucoup de choses mâont Ă©chappĂ©es finalement ... Lâanalyse de ses images sâouvre aux territoires des mĂ©taphores, des symboles et des allĂ©gories et dĂ©voile, comme le suggĂ©rait Cocteau - maĂźtre de ces domaines - que « ⊠nous sommes habitĂ©s par une nuit beaucoup plus intelligente que notre jour. Cette nuit veut aller dehors et exige notre aide ».
DĂ©tachĂ© des contraintes narratives, des logiques causales ou temporelles, jâattaque, Ă partir de ce corpus foisonnant dâimages (jâeffectue beaucoup de prises) le processus de montage en expĂ©rimentant des agencements auxquels je nâavais pas songĂ©. Il nây a donc pas rupture avec le processus de tournage, mais interrogation sur la plastique et le sens des images et crĂ©ation de nouvelles articulations. Il mâest dâailleurs arriver de re-monter des films plus anciens ou de re-placer des plans dans des films dont ils ne sont pas issus.
Effectivement la dĂ©coupe du processus de crĂ©ation donne une grande importance au travail de montage qui rassemble. Il vous faut pourtant, je le suppose, avoir une idĂ©e directrice (lâappellera-t-on un sujet?), une gamme de couleurs, un choix de symboles qui donnera sa cohĂ©rence au tout (ou, Ă tout le moins, diffĂ©renciera un film dâun autre (!?!)). Comme le choisissez-vous ? Sur quoi se dĂ©clenche cette opĂ©ration
MalgrĂ© le fait que j âai suspendu ma pratique du cinĂ©ma expĂ©rimental pendant une assez longue pĂ©riode (entre 1984 et 1995, dĂ©pitĂ© par les querelles, les impasses et les difficultĂ©s que je ressentais au sein de ce milieu, je cherchais alors des soutiens auprĂšs de producteurs et du CNC : fiasco !), je conçois mon travail, reprit en 1995, Ă la mort de Michel Journiac - qui mâencourageait sans cesse Ă retrouver mon chemin - comme un long continuum aux multiples ramifications avec des allers retours, des rebonds, des rĂ©pĂ©titions ou des mises en abĂźme qui sâenchevĂȘtrent au grĂšs de mes intuitions, de mes dĂ©sirs et surtout de mes expĂ©riences de vie.
Bien sĂ»r on peut distinguer dans tous ces films des thĂšmes ou des arguments - pour employer un vocabulaire plus proche de celui de la musique ou de la chorĂ©graphie - qui sont les dĂ©clencheurs de lâaventure de chaque opus, des questionnements qui mâassaillent et que seul un projet artistique peut tenter de rĂ©soudre...
Ainsi par exemple, les questions de la mort et du sacrĂ© - aprĂšs la disparition d âĂȘtres chers - sont au coeur du « MagistĂšre du Corps », 1996, dâ « Eros mutilĂ© », 2000, et du « Rituel de Fontainebleau », 2001. « Le veau dâor », 2002, est construit comme un opĂ©ra avec ouverture fracassante et introduction des thĂšmes - la Diva, le Christ et le Diable - qui se dĂ©ploient dans des structures de plus en plus complexes jusquâau drame final. « Mira corpora », 2004, est un hommage personnalisĂ© au Nosferatu de Murnau, film qui a fortement et depuis longtemps imprĂ©gnĂ© mon imaginaire. « Le banquet des chacals » (en montage), portrait dâune communautĂ© tumultueuse dâexclus, de marginaux et de parvenus livrĂ©s Ă leurs dĂ©sirs et Ă leurs instincts bouillonnants, est une rĂ©appropriation du Satiricon de PĂ©trone. « Les amants rouges » (en prĂ©paration) aborde la question de lâhomosexualitĂ© et de lâIslam.
On distingue des figures stylistiques récurrentes dans tous mes films : une ritualisation des gestes, une mise en lumiÚre de la charge érotique de la « figure » du danseur et une attirance pour les débordements et les profusions du Baroque.
Aloual, Marie Sochor et Baptiste Lamy dans Le banquet des chacals, 2007 ph : M.Mazé
Lorsque jâachĂšve un film, le suivant se met en place dĂ©jĂ dans mon imagination - besoin et instinct dâimages mais aussi carrefour de perceptions anciennes - et « mes » acteurs corporels, Ă la fois, partenaires, doubles et miroirs de mon identitĂ©, franchissent chaque opus. Certains apparaissent plusieurs fois, comme Aloual, lâacteur pivot de ma premiĂšre pĂ©riode, Marcel MazĂ© qui incarne le rayonnement de la maturitĂ© de films plus rĂ©cents, ou encore Eric BossĂ© - mes « Chants dâamour » - disparu tragiquement et dont lâimage est Ă jamais gravĂ© dans les sels dâargent de la pellicule super 8.
Jâaimerais terminer sur cet aspect si caractĂ©ristique de votre travail et qui permet, en creux, de prĂ©ciser les caractĂ©ristiques que vous choisissez contre le numĂ©rique: la couleur et les symboles. Deux couleurs apparaissent immĂ©diatement : le rouge et lâor. Avant de savoir pourquoi, elles reviennent tant, dites nous si elles sont simples Ă Ă©clairer, Ă composer, Ă filmer ?
Il y a beaucoup dâaspects qui diffĂ©rencient lâargentique du numĂ©rique. Vous avez notĂ© que je tente dâen dĂ©velopper quelques uns assez prĂ©cisĂ©ment dans notre entretien et que je me rĂ©jouis de continuer Ă les expĂ©rimenter alors quâ on annonce la disparition du lâun, la suprĂ©matie de lâautre ou que partout on claironne lâindiffĂ©renciation des supports. Le travail sur les couleurs et particuliĂšrement sur les couleurs chaudes - le rouge et lâor que vous Ă©voquez au sujet de mes films - est encore une autre spĂ©cificitĂ© du mĂ©dium argentique. Ce rendu des couleurs, comme celui des teintes sombres ou des noirs colorĂ©s (Ă©voquĂ©s Ă©galement plus haut), cette matiĂšre qui peut ĂȘtre transparente et diaphane comme un voile ou opaque comme un bloc sculptĂ©, nĂ©cessite un soin particulier que tous les aficionados de la pellicule connaisse bien. Je dis bien les aficionados de la pellicule, câest Ă dire les crĂ©ateurs qui tĂątonnent, expĂ©rimentent, se plantent et recommencent; les amateurs, ceux qui aiment - encore un joli mot de Cocteau.
Câest une vĂ©ritable alchimie Ă façonner entre la quantitĂ© et la direction de la lumiĂšre, le jeu sur la fermeture du diaphragme et la sensibilitĂ© de lâĂ©mulsion. Lorsque cette Ă©quation est en place, nous obtenons des qualitĂ©s de rouges, de pourpres ou de dorĂ©s dâune profondeur extraordinaire que les transferts en tĂ©lĂ©cinĂ©mas mĂȘme professionnels ne peuvent restituer. En vidĂ©o ou en numĂ©rique cette subtilitĂ© et cette densitĂ© des couleurs est impossible Ă obtenir. Elles apparaissent toujours clinquantes et lisses, avec des rouges orangĂ©s vifs et des dorĂ©s jaunes.
Vous comprenez sans doute mieux pourquoi jâutilise beaucoup ces prĂ©cieuse teintes. Dâautres part, ouvertes Ă toutes les interprĂ©tations symboliques ou allĂ©goriques, elles font partie dâun rĂ©pertoire auquel je suis trĂšs attachĂ© : celui de la thĂ©ĂątralitĂ© et du drame opĂ©ratique.
Je voudrai vous faire une rĂ©ponse assez provocante mais parlante sur votre mode dâopĂ©ration: les symboles, les couleurs participent (visuellement et thĂ©matiquement) dâune saturation de lâimage qui en devient kitsch et religieuse (ce qui nâest pas incompatible, loin de lĂ , et peut ĂȘtre un axe de votre recherche, nous allons lâaborder).
Lâimage argentique participe sans doute Ă cette boursouflure visuelle, Ă cette exaspĂ©ration des moyens : est-ce dĂ©sirĂ© et dans quelle limite ? Y a-t-il volontĂ© de dissimuler certains manques de moyens ? Et, autre remarque piquante, la dĂ©formation « incontrolable » de la vidĂ©o ne pourrait-elle pas participer de façon plus radicale Ă cette emphase ?
Je nâadhĂšre pas Ă cette idĂ©ologie dominante et moderniste de lâart qui sâobstine Ă nous faire croire que tout processus crĂ©atif devrait conduire Ă la synthĂšse, Ă lâĂ©pure, au concept (les artistes sont innombrables Ă faire cette profession de foi). Je pratique bien au contraire la surcharge, la saturation, la profusion de lâimage. Mes expĂ©riences de vie, mes rencontres, mes questionnements sont des vecteurs de crĂ©ation et mon travail artistique se dĂ©veloppe en se complexifiant et non pas en se simplifiant. Comment pourrait-il en ĂȘtre autrement ?!
Sarah Darmon dans Mira corpora, 2004 |
Orlan Roy, Sarah Darmon dans le Rituel. ph :M.Mazé |
Vous restez un peu Ă la surface des choses en parlant avec un brin de sarcasme de « boursouflure visuelle ». Certes, jâai toujours eu beaucoup dâaffinitĂ© pour lâaspect dĂ©suet et scintillant du kitsch. Dominique Noguez note dans un article intitulĂ© « Bijoux et paillettes « quâon dĂ©cĂšle dans tous les films de lâEcole du corps « ... un cĂŽtĂ© guirlande de noĂ«l et papier-cadeau. Mais tout cela assez splendidement transfigurĂ©. »
Mais câest surtout le baroque que jâexploite, celui du tourbillon des formes, de la luxuriance des effets colorĂ©s, de lâĂ©clatement du cadre, de lâexaltation des thĂšmes, des mĂ©andres de la dysnarration. La plupart des mes films sont construits autour de ce que jâappellerai le drame opĂ©ratique. Dramaturgie qui se caractĂ©rise par lâexploration dĂ©bridĂ©e des passions et la vigueur des tensions qui sommeillent au coeur de lâhumain. Cette dramaturgie me permet de transfigurer les expĂ©riences vĂ©cues, de pousser le lyrisme, la charge Ă©motive et la thĂ©ĂątralitĂ© Ă son maximum afin dâĂ©chapper au rĂ©alisme du pathos tout en abordant des thĂ©matiques graves et profondes qui touchent Ă lâuniversalitĂ© - comme le religieux ou le sacrĂ© par exemple. Il est vrai que cette tendance Ă la luxuriance est assez atypique dans le cinĂ©ma expĂ©rimental et plus particuliĂšrement dans le super 8, plus volontiers sobre, rĂ©aliste, ludique ou minimal, câest-Ă -dire proche des spĂ©cificitĂ©s du journal filmĂ©.
Le fait dâexpĂ©rimenter cette voie avec peu de moyens (je finance moi mĂȘme mes films) me stimule encore davantage mĂȘme sâil faut passer beaucoup de temps Ă trouver des solutions adaptĂ©es. Il nây aucune volontĂ© de dissimuler ce paramĂštre financier car, comme je vous le disais au dĂ©but de lâentretien, le cinĂ©ma expĂ©rimental regorge dâoeuvres Ă la beautĂ© inouĂŻe, rĂ©alisĂ©es dans un langage libre et spontanĂ© et bricolĂ©es le plus souvent avec des moyens dĂ©risoires.
Je ne saisis pas bien le sens de votre remarque concernant la « dĂ©formation incontrĂŽlable de la vidĂ©o ». Vous aurez compris sans aucun doute que je nâutilise pas ce mĂ©dium ni aucun effet (je dĂ©teste ce mot) de dĂ©formation de lâimage par trucage analogique ou numĂ©rique. Dominique Noguez conclue son article: « Le cinĂ©aste se souvient ici que son art est un art de la lumiĂšre et tend Ă celle ci, comme le joailler ou le maĂźtre-verrier, des appĂąts dâĂ©meraude ou de cristal. »
Concernant la vidĂ©o, je me demande en effet si le manque de qualitĂ© qui la concerne souvent, et les dĂ©formations visuelles et de couleurs quâelle produit, ne pourraient pas, justement, intĂ©resser ce que vous voulez montrer (en exacerbant des contrastes, saturant des couleurs, fabriquant mĂȘme des dĂ©formations »involontairement »)? Pour en revenir au centre de ma remarque, il sâagit de voir que cette saturation de lâimage dans vos films participe du sens du film, et de votre dĂ©marche toute entiĂšre (la passion qui vous lie au sujet, au cinĂ©ma, Ă lâobjet film semble se retrouver dans lâĂ©nergie visuelle de vos images). Je souhaitais savoir dans quelle mesure vous cherchez par lâaccumulation dâĂ©lĂ©ments visuels, de symboles de couleurs Ă donner des pistes de sens mais aussi, dans une certaine mesure, Ă brouiller ces mĂȘmes pistes. Les symboles et les matiĂšres colorĂ©es participant alors sciemment Ă cette « boursouflure » (un peu comme le fait Greenaway )
Comment voulez vous que le manque de qualitĂ© de la vidĂ©o mâintĂ©resse alors que les spĂ©cificitĂ©s du mĂ©dium argentique Super 8 dĂ©terminent, accompagnent et vivifient mes recherches cinĂ©matographiques ?! Evidemment, aujourdâhui, la qualitĂ© du numĂ©rique (et de la Haute DĂ©finition) est bien supĂ©rieure au mĂ©diocre Hi8 ou VHS et câest ce qui mâinquiĂšte ...
SĂ©duits par ses performances, de nombreux cinĂ©astes sont passĂ©s au numĂ©rique tandis que dâautres sâorientent vers lâhybridation des supports. MĂȘme David Lynch, dont les admirateurs sont attachĂ©s Ă la luxuriance des images - et dont jâai adorĂ© « Eraserhead », 1977, son premier opus furieusement expĂ©rimental - dĂ©clare dans un rĂ©cent entretien au sujet de son dernier film que lâimage numĂ©rique est plus belle que ce quâil pouvait imaginer...
Les travaux de postproduction (transferts ou conformations en formats standards Beta, DVD ou HD) sont de plus en plus performants . Plus grand monde - et encore moins le public - nâarrive Ă dĂ©chiffrer tel mĂ©dium de tel autre et beaucoup se rallient au concept prĂ©dominant de lâindiffĂ©renciation des supports. IndiffĂ©renciation qui dĂ©bouche forcĂ©ment sur un malaise, une crise dâidentitĂ© que traverse actuellement le milieu du cinĂ©ma expĂ©rimental : oĂč est encore le cinĂ©ma expĂ©rimental aujourdâhui?
Vous imaginez sans peine que je ne me rĂ©soudrai pas Ă lĂącher lâargentique qui reste pour moi un mĂ©dium de rĂ©fĂ©rence toujours contemporain ni le cinĂ©ma expĂ©rimental avec qui il est, par la nature mĂȘme du support, totalement liĂ©. Heureusement dâautres cinĂ©astes, dâautres structures (par exemple le Collectif Jeune CinĂ©ma, lâEtna, Braquage, ou lâAbominable) dĂ©fendent les caractĂ©ristiques de la pellicule parmi lesquelles la plus subtile : cette matiĂšre, cette prĂ©sence, je dirais mĂȘme cette incarnation des images due aux microcristaux dâargent - si dissemblable des paramĂštres lisses, immuables et trop parfaits des images numĂ©riques. Ils privilĂ©gient Ă©galement le rituel de projection en argentique.
La scĂšne artistique française semble rĂ©sister plus quâailleurs, car il sâagit bel et bien ici de rĂ©sistance. Tout comme une rĂ©cente rĂ©trospective/manifestation Ă Beaubourg (dĂ©cembre 2006) a montrĂ© que la scĂšne française joue un rĂŽle dĂ©terminant dans la vitalitĂ©, la promotion et la dĂ©fense du Super 8.
Amusant paradoxe : câest le numĂ©rique qui sauve en partie lâargentique et surtout le Super 8. En effet, Kodak, le principal fabriquant de pellicule, professionnalise sa gamme Super 8 avec des nĂ©gatifs et des noirs et blancs destinĂ©s essentiellement au transfert ou Ă lâhybridation avec dâautres supports. Pour ma part, je prĂ©fĂšre bien sĂ»r la projection en Super 8 ou le gonflage (certes onĂ©reux) du super 8 en 16, voire en 35 mm.
Pour en revenir Ă mes films et Ă la seconde partie de votre question, je pense que la profusion de mes images autorise toutes les lectures possibles, câest-Ă -dire toute la libertĂ© pour le spectateur, Ă partir du moment ou il fait lâeffort de ne pas abandonner, de rentrer par oĂč il veut dans ma proposition et dâen faire lâinterprĂ©tation qui lui paraĂźt le mieux correspondre Ă sa propre sensibilitĂ©. Contrairement aux films de Peter Greenaway oĂč il me semble quâon reste Ă lâextĂ©rieur si on a pas les clefs. Son travail est conceptualisĂ© bien en amont, trĂšs intellectualisĂ©, prĂ©parĂ© rigoureusement, bardĂ© de rĂ©fĂ©rences Ă lâoccultisme et la numĂ©rologie, de citations aux grandes oeuvres de la peinture ou de lâarchitecture, saturĂ© de textes et de dialogues.
Je pense que le mien (toute proportion gardĂ©e avec cette flatteuse comparaison) est plus brut, plus sauvage, plus primitif finalement et sâadresse davantage aux affects quâĂ la raison.
Marcel Mazé dans Mira corpora, 2004 ph : Rck |
Diable-Beur Gay pride Paris, 2003 |
Nous avons abordé la couleur de vos plans et de vos films plus globalement : comment éclairez-vous et selon quelle logique ? Votre maniÚre de travailler a-t-elle évolué et cette évolution visuelle permet-elle de classer dans des périodes (de couleurs par exemple) vos oeuvres ?
SincĂšrement, le travail de et sur la composition de la lumiĂšre nâest pas ce qui me motive le plus. Comme beaucoup de cinĂ©astes expĂ©rimentaux, je procĂšde en autodidacte qui, sans se soucier de la tempĂ©rature de couleur de tel Ă©clairage ou du filtre adĂ©quat avec telle Ă©mulsion, bricole et se plante mais se dĂ©brouille toujours pour que sa petite Ă©quipe puisse Ă©voluer sans trop de contrainte ni dâentrave. NĂ©cessitĂ© Ă©conomique et choix esthĂ©tique : les deux pĂŽles toujours aux aguets dans le processus de crĂ©ation.
DĂ©sentravĂ© des codes techniques professionnels, je reste plus attentif Ă ce qui advient quâĂ ce qui est prĂ©parĂ©. Câest la qualitĂ© de lâĂ©mulsion (le magnifique et disparu kodachromme 40 ), celle de lâoptique des camĂ©ras super 8 haut de gamme et la fermeture adĂ©quat du diaphragme qui produisent lâintensitĂ© des couleurs. Pas besoin de faire trois ans dâĂ©tudes de chef opĂ©rateur pour le savoir...
En revanche, je pense quâon peut dĂ©celer une diffĂ©rence ou une Ă©volution sur ces questions de lumiĂšre et de couleur entre deux pĂ©riodes de mon travail (avant 1983 et aprĂšs 1995). la plupart des films de la premiĂšre pĂ©riode sont tournĂ©s en lumiĂšre artificielle, dans des espaces clos et confinĂ©s oĂč le corps/paysage est le principal sujet des caresses de ma camĂ©ra.
Dans la pĂ©riode actuelle, ces petits thĂ©Ăątres du corps sâouvrent davantage Ă la lumiĂšre naturelle (surtout les crĂ©puscules) et aux espaces extĂ©rieurs (riviĂšres, forĂȘts, garrigues, canaux, jardins, architectures...) avec qui ils tissent des liens inattendus - Ă dĂ©chiffrer. Liens qui se complexifient encore - par lâutilisation de nouvelles Ă©mulsions argentiques (noirs et blancs, nĂ©gatifs, monochomes), par le refilmage (combinaison dâimages fixes et mobiles) et par la fragmentation syncopĂ©e des plans - dans cette quĂȘte sans cesse rĂ©itĂ©rĂ©e que jâaffectionne du foisonnement baroque, de la perte des repĂšres rationnels et du dĂ©sĂ©quilibre des identitĂ©s.
Ex voto, 2006 |
S.Marti en «Action filming super8», 1976 |
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